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Le renard arctique : qu'est-ce que ça mange en hiver?

Un étudiant de l'UdeS lauréat du prix du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas

Un renard arctique transportant un œuf qu'il vient tout juste de prendre à une oie des neiges. Il devra bien choisir l'endroit où il cachera cet œuf, car le corbeau pourrait le lui ravir à son tour…
Un renard arctique transportant un œuf qu'il vient tout juste de prendre à une oie des neiges. Il devra bien choisir l'endroit où il cachera cet œuf, car le corbeau pourrait le lui ravir à son tour…
Photo : Nicolas Lecomte

25 octobre 2007

Pierre Masse et Vincent Careau

Au nord du cercle polaire arctique, le soleil reste caché derrière l'horizon durant tout l'hiver. Le mercure de la toundra plonge sous zéro, allant jusqu'à - 40°C régulièrement. La nourriture y est rare, ensevelie sous les dunes de neige. Pour la plupart des animaux de l'Arctique, l'hiver est une période critique. Certains n'y survivront pas, à moins de prévoir à l'avance…» Cette amorce est tirée d'un texte qui a permis à Vincent Careau, doctorant en biologie à la Faculté des sciences, de remporter le 11 octobre le prix du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Association francophone pour le savoir (Acfas).

Maître renard, maître corbeau et maître Careau

La présentation du lauréat sur le site de l'Acfas est à l'image de l'univers poétique utilisé par Vincent Careau pour transmettre avec talent et simplicité le résultat de ses recherches de maîtrise. «Le renard arctique est comme la fourmi. Prudent, il accumule pendant l'été des réserves de nourriture qui assureront sa survie l'hiver venu. Mais il lui faut aussi faire attention à maître corbeau…» Pendant deux étés, tel un corbeau, Vincent Careau a épié les stratégies de cache de nourriture du renard arctique. Travaillant à la clarté de la nuit boréale, il a pu observer, dans cette toundra sans arbre, les renards aller et venir pour dissimuler les œufs d'oie diligemment subtilisés.

Habituellement le journaliste prend les rênes de l'entrevue pour éditer de brèves citations de son invité. Cette fois, il nous est paru tout naturel de nous laisser conduire par les mots de Vincent Careau pour mieux saisir comment son texte a séduit le jury composé de vulgarisateurs de haut calibre comme Yannick Villedieu ou Jean-Marie De Koninck.

Le texte intégral sera publié en janvier 2008 sur le site de l'Acfas et dans le quotidien Le Soleil. Toutefois pour nous mettre l'eau à la bouche, Vincent Careau a accepté de partager quelques extraits avec Liaison.

Un canidé prévoyant

Le renard arctique est reconnu pour sa manie de cacher la nourriture, en particulier les œufs, puisque ceux-ci sont encapsulés d'une coquille servant de plat Tupperware. En cachant des œufs durant l'été, le renard augmente ses chances de survie à l'hiver. Mais l'été arctique est bref, alors le renard n'a pas le choix d'être rapide. Il doit cacher le plus de nourriture possible en un très court laps de temps. Mais attention, un renard qui emmagasine sans souci risque de se faire voler par un corbeau!

Les oies aux œufs d'or

Au début juin dans l'Arctique, des centaines de milliers d'oies des neiges arrivent du sud pour nicher à même le sol de la toundra. Du point de vue d'un renard, cette arrivée signifie qu'il y aura bientôt des œufs, transformant ainsi le décor désertique en une oasis très énergisante. En effet, les protéines et lipides contenus dans un simple œuf d'oie fournissent à un renard de 3,5 kg l'équivalent d'une vingtaine d'œufs de poule pour un humain de 60 kg!

Si un renard réussit à cacher 200 œufs d'oie en été et à tous les retrouver en hiver, il pourrait, en théorie, survivre six mois. Enroulé dans son manteau blanc – le plus isolant du règne animal – au repos à - 40°C, il ne consomme pas plus de 900 kJ par jour. Un œuf d'oie en contient autant.

L'or disparaît vite

L'œuf d'oie est une ressource aussi abondante qu'éphémère. Après une semaine de ponte seulement, les oies couvent leurs œufs qui finissent par éclore 23 jours après le début de l'incubation. Le renard devra faire vite s'il veut en faire des réserves pour l'hiver. Très vite.

Une fable de Lafontaine, mais inversée

Vincent Careau

Maître renard, à son insu épié, tenait en sa gueule un œuf. Maître corbeau, par la vue alléché, attendait... Le corbeau a appris à exploiter les compulsions de cache du renard et «l'espionne» alors qu'il cache de la nourriture. Après le départ du renard, il se rend directement à la cache pour y récupérer son contenu. Nous savions déjà que les corbeaux avaient l'habitude de se voler des caches entre eux. Maintenant, nous savons qu'ils peuvent très bien voler les caches faites par d'autres espèces.

Le renard, honteux et confus à son retour à la cache maintenant vide, jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. Lorsqu'un renard aperçoit un corbeau à proximité d'une de ses caches, il la défend en tentant de repousser le corbeau qui ne fait qu'esquiver les charges, en gardant l'œil sur la cache. Impuissant devant un voleur ailé et déterminé à rester, le renard retourne alors à sa cache et attend que le corbeau quitte le lieu avant de faire de même. Ce récit d'histoire naturelle moderne, ressemblant étrangement à une fable de Lafontaine, ne dit pas encore si le corbeau reviendra à la cache plus tard, alors que le renard n'y sera plus…

Savoir, savoir faire et faire savoir

Vincent Careau voit cet exercice de vulgarisation comme une part importante pour devenir un scientifique complet. «Il faut beaucoup de travail pour rendre une recherche scientifique divertissante à lire, dit-il. Je crois que l'écriture, qu'elle soit scientifique, vulgarisée ou poétisée, est une discipline en soit. Alors, quand je «m'exerce» à vulgariser la science, c'est comme un entraînement. Certains croient que vulgariser est une perte de temps. Je ne suis pas d'accord. Ce temps passé à écrire est du temps passé à exercer les facultés nécessaires pour être bien compris, un atout en science. Par analogie, prenons un lanceur de javelot qui est évalué uniquement sur la distance à laquelle il va lancer son javelot aux Jeux olympiques. À l'entraînement, le lanceur ne va pas seulement lancer et lancer, mais il va aussi faire d'autres exercices, comme de la musculation et de la course. Ça, c'est un athlète. Pour moi, un scientifique hors pair est aussi bon vulgarisateur. Le scientifique se doit de vulgariser ses recherches à la société, car ce sont les gens qui paient pour la recherche. Reste à savoir s'il peut se rendre intéressant… Moi je m'exerce dès maintenant.»

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ACFAS